Emil Cioran Notebooks in English


emile cioran spiral

In process of translating Emil Cioran’s journals from French to English. Original French is included underneath each entry.

In this post are entries for year I am presently translating. Every week I translate another entry, usually work on carefully, over a few days.

Listed below are links to latest entry fully translated and years already completed.

1962


8 janvier 1962

There is no limit to the experience of self-horror. To fall more and more further down – into the negative infinity of the soul.

My “vocation” was to live outdoors, to do manual work, tinker in a courtyard, in a garden, and not to read nor to write. Ultimately, the greatest rupture seen of this, took place in 1920, date when I had to leave my native village, in the Carpathians, to go to high school, at Sibiu. More that forty years have since passed, and yet I still can’t forget the tearing disorientation that I experienced then, that I still experience in another form.

Original French

Tl n’y a pas de limite à l’expérience de l’horreur de soi. Tomber de plus en plus bas – dans l’infini négatif de l’âme.

Ma « vocation » était de vivre à l’air, de faire du travail manuel, de bricoler dans une cour, dans un jardin, et non de lire ni d’écrire. Au fond, la plus grande rupture que j’aie vécue ce fut celle qui eut lieu en 1920, date à laquelle je dus quitter mon village natal, dans les Carpates, pour aller au lycée, à Sibiu. Plus de quarante ans se sont écoulés depuis, et pourtant je ne peux oublier le déchirement de dépaysé que j’éprouvais alors, et que j’éprouve toujours sous une autre forme.


17 janvier 62
Translated
Still to Translate

J’ai cessé de fumer il y a deux semaines ; deux semaines de supplice. Désormais je serai plus indulgent pour les « intoxiqués ».

Depuis j’ai repris la cigarette… Quelle honte !
Aucun écrivain ne supporte la moindre restriction sur ce qu’il fait. Il a assez de doutes sur lui-même pour pouvoir affronter ceux que les autres conçoivent à son égard.

Je n’ai jamais écrit une ligne sans ressentir après une gêne, un malaise intolérable sans douter radicalement de mes capacités et de ma « mission ».

Nul esprit clairvoyant ne devrait prendre la plume, — à moins d’aimer se torturer. La confiance en soi équivaut à la possession de la « grâce ». Que Dieu m’aide à croire en moi-même. Les conversions ne viendraient-elles pas de l’impossibilité de supporter plus longtemps la lucidité ? Ne seraient-elles pas le fait d’écorchés – par de trop fréquents retours sur soi ? L’enfer de se connaître, que l’oracle ni Socrate n’ont deviné.

Toute solitude est à mes yeux trop petite, même celle du Vide, même celle de Dieu. Quelle exigence terrible s’est insinuée dans mes nostalgies.

Supprimer tous les désirs ! – tel est mon propos, mon désir absolu !


12 février 62

Je me sens en dehors de tout, de ce qu’on appelle tout.On a dû jeter un sort sur moi. Je suis ensorcelé. On me tient. Mais qui me tient ?

Des journées, des semaines sans écrire un mot, sans communication avec autrui ni avec moi.

Je regardais cet après-midi les nuages passer, il me semblait qu’ils touchaient, qu’ils enveloppaient mon cerveau. Il faudrait que je sorte de là, il faudrait que je prie…

Lermontov – un homme que j’aime. Ses considérations sur le mariage… Ce Byron russe nous fait heureusement oublier l’autre qu’il éclipse.

Le sceptique est l’homme le moins mystérieux qui soit et cependant, à partir d’un certain moment, il n’est plus de ce monde.

Chaque fois que j’entends du Bach, je me dis qu’il est impossible que tout soit apparence.Il faut qu’il y ait autre chose. Et puis, le doute me reprend.

Il tirait trop de vanité de l’avantage qu’il avait d’être méconnu.

Stérilité sans nom. Impossibilité d’écrire, de passer du projet à l’acte. Impression de sécheresse et d’inutilité qui confine à la maladie. Symptôme grave : j’ai pour ainsi dire de moins en moins d’ambition. Et l’ambition est, de toute évidence, le ressort de l’activité.

Pour produire, il faut ensuite être sensible à l’opinion des hommes. Or j’y suis de plus en plus indifférent. Et ce qui est grave, c’est que ma solitude n’est pas à base d’orgueil, mais de détachement, et de froideur envers tout, envers moi-même en premier lieu.

Les  êtres  ne  sont  plus  ma  passion.  Et  si  cette  passion  n’était qu’endormie ? Je l’espère. Mais qui sait ?

Glissement funeste vers la sagesse…

Socrate  à  Criton,  avant  de  mourir  :  «  Tl  ne  faut  jamais  parler improprement ; car on n’offense pas seulement la grammaire, on fait mal aux âmes. »

(À rapprocher du mot d’Arvers sur son lit de mort – et citer le commentaire de Rilke : « C’était un poète, il n’aimait pas l’à-peu-près. »)

À considérer bien nos actes, il n’en est aucun, si généreux soit-il, qui, par un certain endroit, ne soit blâmable et même nuisible ; et même de nature à nous inspirer le repentir de l’avoir exécuté, de sorte que nous n’avons, au fond le choix qu’entre l’abstention et le remords universel.

Quel tort j’ai eu de répondre aux lettres de Dinu7 Je lui ai écrit – par pitié pour sa solitude, et aussi par devoir d’amitié. Sans le vouloir, j’ai fourni des armes contre lui et contribué à sa ruine.

Maître Eckhart : « Si tu possèdes la claire volonté et que le pouvoir seul te fasse défaut, au regard de Dieu tu as tout accompli. »

Ce temps qui passe, qui s’effiloche sous mes regards, et que je remplis avec rien, si ce n’est avec mon remords, le remords de ne rien faire. La conscience déchirante de mon inutilité est mon seul contenu positif.

Le fond de mon remords : un mélange de peur et de honte.

L’acharnement  de  Lucrèce  à  prouver  que  l’âme  est  mortelle, l’acharnement de Luther contre la liberté – il faudrait en chercher les raisons,  les  dessous.  Volonté  d’autodestruction,  appétit  d’humiliation. J’aime toute forme de violence contresoi.

Entendu au marché. Deux grosses vieilles femmes sur le point de finir leur conversation. L’une d’elles dit à l’autre : « Pour être tranquille, il faut rester dans la normale de la vie. »

À Saint-Séverin, un chœur italien qui chante MissaBrevisde Palestrina les admirables Lamentations de Jérémie de Cavalieri.

Combien me touche cette musique du XVIe siècle. Et cependant mon attention s’est relâchée un moment, juste assez pour songer qu’il faudrait que je gifle X… J’ai remarqué que plus mes émotions sont pures, plus elles suscitent en moi par réaction des envies ridicules, affreuses, innommables. Partout et toujours, rencontre avec la Honte.

Sensation étrange dans une vieille église : sont allées toutes ces prières proférées pendant des siècles ? Il est terrifiant de penser qu’elles n’ont pas survécu à ceux qui les ont dites, à leurs espoirs et à leurs anxiétés.

N’approche de l’essence du Temps que celui qui sait le gâcher. L’homme de nulle utilité.

Différer la rencontre avec l’irréparable.

Comments

10 responses to “Emil Cioran Notebooks in English”

  1. Thank you for these ongoing translations.

  2. valuable for curious minds.

  3. When will the new version be updated?

  4. Bettina Hodge

    honestly it’s a wake-up call.

  5. future fly

    We support

  6. Dustin Sigaty

    This is incredible!! Thank you for embarking on this project!

  7. how-to-kill-yourself

    You are not without options

  8. Andrew Winer

    I hope you will keep translating!

  9. “Once in a Fairy Tale”

  10. appreciate will keep checking

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