ATHENA e-text, en français.
Arthur RIMBAUD (1854-1891), link:
Le parti pris de cette mise en ligne des Illuminations de Rimbaud a été la fidélité à l’édition originale de 1886 dans ses particularités orthographiques (Norwège, sopha, boulevart, etc.) ou grammaticales (accord des noms propres au pluriel); la ponctuation (fréquence du double tiret —) comme la présentation typographique (italiques, indentation) ont été respectées.
Notre texte, d’après l’édition des Publications de la Vogue de 1886, inclut la présentation de Paul Verlaine, et les onze pièces de vers généralement depuis séparées des textes en prose.
François Bon (F.Bon@wanadoo.fr)
Après le Déluge
Aussitôt après que l’idée du Déluge se fut rassise,
Un lièvre s’arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes, et dit sa prière à l’arc-en-ciel, à travers la toile de l’araignée.
Oh! les pierres précieuses qui se cachaient, — les fleurs qui regardaient déjà.
Dans la grande rue sale, les étals se dressèrent, et l’on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, aux abattoirs, dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent.
Les castors bâtirent. Les “mazagrans” fumèrent dans les estaminets.
Dans la grande maison de vitres encore ruisselante, les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.
Une porte claqua, et, sur la place du hameau, l’enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l’éclatante giboulée.
Madame *** établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.
Les caravanes partirent. Et le Splendide-Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit dupôle.
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym, — et les églogues en sabots grognant dans le verger.
Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c’était le printemps.
Sourds, étang; — écume, roule sur le pont et passe par-dessus les bois; — draps noirs et orgues, éclairs et tonnerres, montez et roulez; — eaux et tristesses, montez et relevez les déluges.
Car depuis qu’ils se sont dissipés, — oh, les pierres précieuses s’enfouissant, et les fleurs ouvertes! — c’est un ennui! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu’elle sait, et que nous ignorons!
***
I love the way he breaks up paras… its so direct, fleeting, contagious…
Fernand Leger 1881-1955, French “Après le déluge,” from “Les Illuminations” by Arthur Rimbaud, 1949